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Départ


Je suis sur le départ, j'ai fait mon baluchon, un vieux sac empli de souvenirs importants.

Le sac n'est pas bien grand, mais ma vie y tient en intégralité.

Elle se résume à peu de choses, bien qu'elle soit lourde à porter.

J'y ai mis en premier un joli chausson rouge, pour un tout petit pied, non pas pour le chausser, bien sûr, mais parcourir avec lui les années d'un passé où sa couleur était encore vive.

Il me suffit de le tenir dans ma paume pour voir surgir en hologrammes un vieux film tant aimé. Je peux le voir alors, lui, courir dans l'herbe humide et la boue de surface née d'une averse d'été, entendre ses jolis rires répondre à mes cris tendrement et faussement fâchés.

Chercher à le poursuivre et à le rattraper est bien sûr inutile et vain. Je le sais pour avoir essayé autant de fois que le ciel compte d'étoile, je crois. Le passé ne peut reprendre pied dans le présent, c'est une loi immuable que j'ai pourtant voulu contrarier. Je me suis cru assez fort pour tordre l'espace temps, pour modifier par ma seule volonté le cours des choses, celles que je n'aimais pas. Mais je ne le suis pas.

J'ai pris soin d'enfourner aussi dans ce vieux sac de toile un foulard de soie bleue, dont les parfums disparus renaissent lorsque je le touche. Je peux alors sentir les fragrances d'amande et de fleur d'oranger, celles qu'elle exhalait, elle, par sa seule présence. J'ai encore sur les lèvres le goût et la chaleur de ses baisers passionnés, aussi doux que le miel, aussi chauds que l'éruption du Vésuve.

Je la revois danser et tournoyer, heureuse et souriante, elle qui était ma fée bleue, qui m'a offert la vie quand moi je n'étais qu'un pantin. Sa beauté et sa force me paraissent immortelles, elle ne reviendra pas, mais elle est toujours là, enfermée dans mon sac, captive de ma mémoire.

Par dessus ces deux pièces magistrales d'un puzzle désassemblé à jamais, j'ai rajouté un âne, fait de douce peluche. Souvenir plus récent, mais aussi important, il évoque pour moi la fin d'un cauchemar et le début d'un rêve.

Baluchon sur le dos, fort de ce que ma mémoire peut comporter de beau et de réconfortant, je pars et prends la route, en recherche, peut-être, de nouvelles pièces pour combler les espaces vides que contient mon vieux sac.

Je le veux aussi lourd que possible, bourré à en craquer les coutures de souvenirs agréables et à ne plus pouvoir le soulever.

Lorsque, arrivé au bout du chemin, je ne pourrai plus rien porter, je l'ouvrirai pour m'y plonger en entier et réunir enfin par delà les époques les personnes qu'il renferme. Et je compléterai ce puzzle entamé au début de ma vie, et je les rejoindrai au rang de simple souvenir.

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